William Sheller, Paris, 1976

William Sheller

William, comme son nom ne l'indique pas, est parisien. Tout au moins de naissance car il avoue avoir passé une partie de son enfance aux Etats-Unis, ce qui, en fait, ne semble pas avoir influencé sa culture musicale, pas plus, d'ailleurs que le jazz qui était la musique de son père. Monsieur Sheller, en effet, était à la fois américain et bassiste de jazz, l'un n'empêchant pas l'autre. Par contre, ce par quoi il reconnaît avoir été influencé, c'est la musique classique. Tout gamin, son rêve était déjà d'être compositeur classique ; sur sa demande, son père lui paye des cours de piano. Puis, par réaction, il accroche, pendant quelques temps, à la musique contemporaine... pour revenir bien vite au classique ! Il faudra un événement bien précis, qui tient de l'anecdote, pour que William se tourne vers le genre musical que nous lui connaissons aujourd'hui : c'est en effet un jour que son piano était cassé qu'il eut, accidentellement, l'occasion d'écouter quelque chose de totalement nouveau et inconnu pour lui: un disque des Beatles ! Le hasard le gâtait ! Ce fut un réel choc pour lui, l'ouverture vers un monde musical totalement différent de celui dans lequel il vivait auparavant. William se passionne alors pour ce que l'on appelle à l'époque la «pop musique» et dissèque cette forme d'expression comme il l'a déjà fait pour la musique classique.
Et pourquoi ne pourrait-on pas concilier cette «pop» avec le respect de la musique classique ? Sans parler de «My year is a day» ni de la musique du film «Erotissimo» qu'il composa aussi en 1968, William semble avoir concilié ces deux courants avec beaucoup de bonheur dans ce petit chef-d'œuvre qu'est le «Popera Cosmic» et, surtout, dans ce grandiose «Lux Aeterna» qu'il avait enregistré pour des amis à lui.
Mais vis-à-vis de lui-même, ce n'est pas l'auto-satisfaction. Il n'a en fait pas encore trouvé sa voie. Il travaille, à droite et à gauche avec des gens fort différents les uns des autres. On le retrouve en effet sur des disques aussi divers que «La louve» avec Barbara, «Le jour où les vaches» d'Emmanuel Booz (le premier qui pense «Booz de vache» ne mérite franchement pas de lire un article aussi sérieux que le mien), un très beau disque qui n'eut pas, malheureusement, la chance d'être révélé au grand public, et des 45 tours de Sabrina Lory. Etc. William travaille pour les autres sans encore savoir exactement quel est son style musical, ce qui, en fait, est une réaction bien normale si l'on songe que l'album pour lequel il avait vraiment donné tout ce qui était en lui à l'époque, «Lux Aeterna», n'avait reçu qu'un simple succès d'estime, de la part des professionnels qui avaient eu l'occasion de l'écouter.
La solution semble donc pas être dans cette forme de recherche ce vulgarisation du classique. Comme il avait, de plus, investi tous les droits d'auteur de « My year is a day » dans l'enregistrement de cet album, William retrouvait quasiment à son point de départ.
L'album avait nécessité la mobilisation de plus de quarante musiciens, choristes, pendant trois jours d'affilée. Ce disque apparaît finalement comme un cadeau ; à la musique, évidemment, aux amis à qui il était dédié... mais aussi surtout à William qui s'était ainsi prouvé qu'il pouvait faire autre chose que «My year is a day».
Il rencontre, tout-à-fait par hasard, Alain Suzan, responsable à l'époque du groupe Alice qui était un des plus intéressants du moment. Au cours de la discussion jaillit l'idée qu'il pourrait être intéressant d'associer ce groupe électrique à la culture classique de William. Alice étant un groupe sérieux dont les membres se connaissent bien tout en sachant leurs possibilités respectives, l'équipe s'enferme dans un studio.
Outre William et Alain Suzan à la basse, on trouve alors Luc Bertin, qui tient le piano lorsque William n'en joue pas, Alain Weiss, batteur, Slim Batteux et Ian Jelf (guitares) et, pour terminer, Greg McGregor au saxophone (au passage, j'espère que vous avez remarqué son intervention très «late fifties» dans le nouveau simple de William : «C'est comme dans un vieux rock'n'roll». Les musiciens travaillent d'arrache-pied à la préparation de ce premier album qui sera, on le ressent déjà, un événement pour la scène française. Sabrina Lory prête son concours pour les chœurs.
La méthode de travail de William consiste à se concentrer au maximum sur la musique et les arrangements, les paroles étant griffonnées rapidement selon les images évoquées par les sons, les arrangements. Il reconnaît avoir composé «Rock'n'Dollars» en un temps record. Et, comme par enchantement, c'est celle-là qui deviendra LE tube de l'année. Ironie du sort, car William me confie ne pas trop aimer cette chanson (Ndr : et moi je la déteste!) par rapport à d'autres qu'il adorait et qui n'ont pas attiré l'attention du grand public.
Du jour au lendemain, William se retrouve au premier plan, pop star sans vraiment l'avoir voulu. Sa chanson passe sans arrêt sur toutes les stations de radio (elle sera même reprise pour une publicité de jus de fruit pour la télé) Mais il ne faut pas s'y tromper : William ne semble pas désireux de faire une carrière de faiseur de tubes. Il est avant tout compositeur et arrangeur. Il n'y a donc pas vraiment de raison pour qu'il change du jour au lendemain. Cela se ressent, de toutes façons, à l'écoute de certains morceaux du premier album, que ce soit « La maison de Mara », « Comme je m'ennuie de toi » ou «S avez-vous ? ». C'est d'ailleurs vers ce style que tend la musique de William dont la nouvelle orientation se dessine dès ce second album chez Phonogram.
En 1968, il avait sorti en collaboration avec Gérard Manset, son premier 45 tours. «Couleurs», sur C.B.S., suivi, peu de temps après, par «Leslie Simone» et «Adieu Kathy», les deux titres de son deuxième simple. Simple est, plus que jamais, le terme qui convient, puisque William fait une moue dégoûtée lorsque j'exhibe cette pièce de collection dont la pochette présente un dessin vraiment peu ressemblant de William. Interview dans l'Auditorium de chez Philips, un tranquille après-midi de mai 1976. :

- Mon premier 45, je l'ai fait avec un groupe semblable à celui avec lequel je travaille actuellement, ainsi qu'avec Gérard Manset, et, à l'époque, il fut chroniqué dans des magazines style «Elle» qui nous comparèrent à des sortes de Mothers of Invention français, ce qui fait que la maison de disque sabota complètement le deuxième simple pour en faire un truc commercial.

- Comment se fait-il alors que tu sois tout de même resté chez CBS et que tu y aies sorti LUX AETERNA ? - En fait, cet album n'a aucun rapport avec les deux simples : je l'ai entièrement produit moi-même, et j'ai dû insister pour qu'il sorte. J'ai quitté C.B.S. après sa sortie, en 1968.
- Aujourd'hui, une nouvelle collaboration avec Manset te paraîtrait-elle possible, ou tout-au-moins envisageable ?
- Je revois Gérard de temps en temps, mais travailler avec lui est assez difficile dans la mesure où il fait réellement SA musique à lui et je ne vois pas vraiment ce qu'on pourrait faire ensemble. Ou alors un 33 tours avec chacun sa face !
- Que penses-tu de cette réaction, caractéristique du public français, qui laisse passer un disque aussi riche que «Lux Aeterna», et qui, par contre, fait de «Rock'n'dollars» un tube du jour au lendemain ?
- C'est effectivement dommage, mais on ne peut rien faire d'autre que constater : le public français, au départ, n'est pas musicien ; il accroche donc à des trucs plus «faciles». Quoi qu'il en soit, il faut aussi admettre que «Rock'n'dollars» a été l'objet d'une promotion dont n'avaient pas bénéficié mes dis antérieurs; j'ai toutefois été beaucoup plus heureux de constater le succès de «Photos-souvenirs», qui est un morceau beaucoup plus riche, que ce soit au niveau texte ou musique. Mais si j'avais continué à ne faire QUE des trucs style «Lux», j'aurais attendu le succès toute ma vie... Et il en aurait été sans doute de même pour Manset s'il s'était cantonné à d'autres «Mort d'Orion». Il en sera de même pour mon nouvel album : mon titre préféré est «Genève», mais ce n'est pas du «grand public».
- Venons-en donc a ce nouveau 33 tours. Travailles-tu avec les mêmes gens ?
- Oui, il s'agit toujours des. anciens du groupe Alice. Cet album devait démarrer sur «St Exupery Airway», mais la famille de l'aviateur a crié au scandale, et ce titre, sous cette forme, ne paraîtra pas sur le 30 cm; les 45 T déjà sur le marché sont retirés de la vente pour être remplacés par un single avec «Joker Poker» à la place. Quoiqu'il en soit, nous réenregistrerons ce même morceau, avec des paroles légèrement modifiées. Il suffit juste de remplacer «St Exupéry» par n'importe quel autre nom. De toutes façons, la face A de ce 45 T reste «Comme dans un vieux rock'n'roll ».
- Dans un autre titre, «Téléphone pas trop tôt», j'ai cru reconnaître le riff de «Here comes the Sun». Est-ce un clin d'oeil aux Beatles ?
- Je ne l'avais même pas remarqué ! Par contre, au studio, lorsque nous avons enregistré ce morceau, c'est plutôt «No reply» qui m'est revenu en mémoire.
- Maintenant que ça marche pour toi, que tu peux travailler avec moins de contraintes financières par rapport à ta maison de disques, est-ce que tu penses que cela va te permettre de faire des trucs nouveaux, peut-être même, pourquoi pas, totalement différents de «Rock'n'dollars», plus proches de «Lux», ou au contraire risques-tu de devenir prisonnier de ton public et donc, indirectement, d'un style musical bien défini ?
- A ce niveau, aucun danger : je sais exactement ce que j'ai envie de faire. Le succès me permet effectivement de vivre mieux... La preuve, j'ai pu récemment m'offrir un piano alors que j'en étais privé depuis deux ans! Mais je prépare des albums qui n'ont rien à voir avec l'image qu'a le public de moi; des albums peut-être même instrumentaux, avec des musiciens qui viennent d'un peu partout, au gré des sessions et de l'Inspiration.»
- En général, comment te vient l'inspiration pour une chanson ? Le thème utilisé correspond-il toujours à un souvenir personnel bien précis ?
- Pas du tout ! La musique est toujours écrite avant. Je pars ensuite d'un mot, d'une image qui semble coller à la musique, et l'imagination fait le reste, d'après les deux ou trois phrases déjà écrites! De toutes façons, à chaque album, je compte mettre de plus en plus de musique, d'arrangements raffinés, le texte et ma voix n'étant en fait qu'un instrument de plus, à peine plus Important qu'une guitare.